Cinéma : « Une Prière avant l'aube », l'histoire vraie du boxeur Billy MOORE
Par Michel Lecorre le mercredi 20 juin 2018
« Une Prière avant l'aube » sort aujourd'hui en salles. Ce film de Jean-Stéphane SAUVAIRE est tiré d'une histoire vraie, celle de l'Anglais Billy MOORE, un jeune boxeur anglais incarcéré en Thaïlande pour détention de drogue et qui va être autorisé à participer à des combats de muaythai.
Même si la drogue, la consommation de Yaba (qui signifie en Thaï : « Qui rend fou »), un dérivé de crack puissant, y est omniprésente, Une Prière avant l'aube n'est pas la version d'un Midnight Express transposé aux prisons Thaïlandaises.
Le corps est l'image centrale de ce film, le spectateur est entraîné dans un combat, qui se déroulerait dans un interminable corps à corps de deux heures. Une prière avant l'aube ne vous ménagera pas, touchera votre intime, sans être une seconde indécent.
Muay Boran
Il faut patienter jusqu'à la deuxième moitié du film pour voir les beaux gestes du muay, notamment l'apprentissage de magnifiques coups de coude retournés. Au début, Billy MOORE est un chien fou errant, il traîne avec lui son histoire d'enfant battu devenu violent et qui s'est réfugié dans la drogue. Il a un certain talent, mais son passé fait de lui un pur bourrin sur les rings. Il cogne dur, ce qui n'est pas un mal pour un boxeur, mais il n'a aucun style, aucun discernement, sa boxe est horrible à voir. Il utilise à peine ses jambes, ses poings ne sont que de lourdes enclumes. Il boxe comme dans les jeux de l'Antiquité Romaine, où les gants étaient alourdis lors des combat, où les adversaires devaient se frapper à mort au visage jusqu'à ce que l'un des opposants s'écroule à terre, sonné, la face fracassée. Le premier combat du film pour Moore est une opposition en Muay Boran, une boxe ancestrale, qui serait venue du Cambodge, et qui se pratique sans gants, avec seulement des coquilles dures pour recouvrir les mains. Ce choix n'est pas un hasard pour Billy. Totalement sous Yaba, il saute sur cette occasion et frappe, sur le ring il recherche un personnage invisible à détruire : lui-même. Billy Moore se sent coupable d'être venu au monde, alors il fait pisser le sang pour espérer qu'on l'achève. Il ne craint pas les coups, mais il a peur de leur signification.
Dimension humaine et théorie des cordes...
Le réalisateur Jean-Stéphane SAUVAIRE donne à cette histoire sa dimension humaine, réelle. Le spectateur est en immersion. Le film a été tourné dans une ancienne prison désaffectée près de Bangkok, avec des anciens détenus, de véritables nak muay, tous sont haut en couleur, en tatouages plus exactement, totalement authentiques dans leur jeu. Aucun ne sur-joue son rôle, ils vous épateront. Pour le spectateur, ce film est un véritable voyage en soi-même et hors de soi, une plongée dans un trou noir où Sauvaire nous guide dans un univers parallèle qui se trouve par moment au-dessous, tantôt au-dessus de nous, pourtant il existe bel et bien, et nous le rencontrons dans Une prière avant l'aube. Une théorie des cordes !
Joe COLE, nak muay ?
L'interprétation de l'acteur Joe COLE pour le rôle de Billy MOORE est faite d'authenticité, sur le plan pugilistique il se donne corps et âme. Il donne un aspect puissant et maladroit à son personnage au début, puis il s'affine, recherche moins les coups, devient enfin un nak muay. COLE s'est entraîné comme un boxeur compétiteur auprès d'un camp, pour le film, dont le tournage a duré 30 jours. L'acteur avait presque un combat par jour à jouer. Il les assume tous physiquement et mentalement, un pur plaisir pour le spectateur à le voir. Remarquable.
Une prise de son exceptionnelle, une lumière au-delà du spectre du visible...
La volonté du réalisateur a été d'utiliser la caméra à l'épaule, les plans séquences, pour filmer tous les combats de Billy. Jean-Stéphane SAUVAIRE cherche à nous faire entrer dans la tête, de voir ce que voit MOORE. Ce parti-prix ne fonctionne pas toujours pour les combats. Cependant, nous sommes rattrapés par les cheveux, il existe une forme de magie dans les scènes de combats de ce film, et c'est le son qui l'apporte. Les prises de son de Nassim EL MOUNABBIH éveillent tous nos sens, regarder les scènes de combat d'Une prière avant l'aube, en fermant les yeux, est sublime, et nous ouvre alors sur toutes les sensations du ring, là le spectateur est placé dans le muay thai ! Nassim EL MOUNABBIH a réalisé un travail exceptionnel sur l'ensemble du film, il mériterait un prix...
Hormis pour les combats, l'image est exceptionnelle. La quasi totalité du film se passe en prison, où le directeur de la photo éclaire ces corps masculins emmêlés les uns aux autres, dans ces cellules collectives où s'entassent au moins vingts à trente détenus, peut-être plus. Il est parvenu à créer des jeux de lumière digne du subtil clair-obscure des tableaux de VERMEER. Associer au son, cet ensemble est magnifique. C'est bien un film d'immersion qui ne cherche pas le choc de photos, mais la justesse du ton, du sentiment. Cette prison est un univers concentrationnaire, où l'intimité n'est pas permise, la promiscuité est la règle. De la fureur mortelle du viol, à la poésie de Jean GENET du Condamné à mort...
Dans cette prison, vous avez le choix de vivre pire que des bêtes, de vous enfoncer dans la violence, ou de lutter côte à côte pour rester des Hommes dans la fraternité. Cette situation semble préférable à celle du mitard pour Billy MOORE où il est seul et bien démuni face au diable qui le tourmente, la drogue Yaba, qui le tire non pas vers l'enfance, mais l'enfant battu qu'il était, c'est à dire « le souvenir zombi » des plus sournois pour un être humain. C'est bien sa rencontre avec le muay thaï à l'intérieur de la prison qui va permettre à Billy de survivre, vaincre ses démons.
Du féminin dans ce film ? Oui, ce sont les Lady-boys qui l'apportent avec une totale justesse. Aucune caricature dans la manière de les filmer chez SAUVAIRE, il les peint comme de « belles personnes », des femmes qui mériteraient qu'on cesse de les juger. Le personnage de Fame amène l'humanité et l'apaisement à Billy, la « scène aux seins » est sublime. Fame lui montre que la douceur et l'affection ne lui enlèveront ni sa virilité, ni sa détermination de nak muay, bien au contraire. Ce film qui cogne si dur, sait aussi montrer avec harmonie, dans une grande subtilité, que dans certaines situations, la faiblesse est un don.
Les scènes « de rituel » sont très bien rendues, il faut en retenir deux, comme celle du tatouage, de la douleur, à l'amitié, le signe qui inscrit en lui le passage de l'enfance à l'âge adulte pour Moore. Ce tatouage ne sera pas un signe d'appartenance à un clan, mais d'inclusion. Il semble dire: « C'est ce que tu es sur le ring qui est véritable, et rien d'autre... »
Le ver luisant
L'autre scène de « rituel » est un grand moment de cinéma, personne n'avait filmé un massage au Namam avant un combat, avec autant de force et de beauté, aucun plan n'est à jeter. Ce n'est pas Joe COLE qui la porte, la plus belle scène du film n'est donc pas à travers le regard direct de Billy MOORE, mais c'est lorsque le spectateur est transporté, plus exactement qu'on lui laisse le choix d'être l'un des deux protagonistes, qu'on ne le force pas à enter dans le corps de Billy. C'est un personnage d'apparence insignifiante, un jeune homme qui semble avoir 17 ans, maigre comme un clou, on estime son poids à 48 kg, et encore. Dans la vie c'est un véritable nak muay, un champion de boxe en devenir qui se nomme Frank POPTHEERATHAM, il a une particularité, un angiome sur une partie de son visage, une marque de naissance aussi appelée « tâche de vin ». Le réalisateur l'a sélectionné pour ces deux raisons. Un coup de de génie, parce que ce personnage est le « ver luisant » de ce film. Ce garçon ne rentre dans aucun critère de beauté, il ne serait jamais sélectionné pour jouer dans ces séries insipides, parlant d'amours adolescents, qui envahissent les écrans en Thaïlande, comme dans le reste du monde. Même s'il y venait comme simple spectateur, les chargés de communication des émissions télé le placeraient le plus loin possible du champ de la caméra, parce qu'il ne rentre pas dans les stéréotypes, de par son apparence. Pourtant sur le ring, dans la réalité, le jeune Frank met KO ses adversaires dans une boxe propre, avec style. A l'entraînement, on l'imagine ne pas lâcher son partenaire jusqu'à ce qu'il progresse, dépasse ses limites. Ce jeune champion est amical et bienveillant. Par deux fois, le film adoptera son regard pour guider le spectateur. Comme un ver luisant aperçu par hasard, il nous ramène en un instant à nos souvenirs, à nos rêves, aux valeurs du muay thaï, et lorsque tout semble perdu, il nous souffle par son courage, de ne pas baisser les bras. Dans le film c'est une bouffé d'oxygène, parce que son âme est grande et jolie, Frank POPTHEERATHAM crève l'écran avec à peine trois minutes de présence sur deux heures.
Une prière avant l'aube n'est pas un film sur le muay thaï, c'est avant tout une immersion dans un univers atypique et réel, une recherche sur le corps, l'histoire authentique du nak muay Billy MOORE. Jean-Stéphane SAUVAIRE affirme: « J'aime filmer les corps parce qu'ils ont tous leur propre histoire. Les corps ne peuvent pas mentir. Ils portent les coups de la vie, les cicatrices, les traumatismes passés. »
Loin des clichés, du communautarisme dans lequel le muay thaï en France ou en Europe s'enferme parfois, SAUVAIRE parvient à nous monter l'invisible, à nous mener aux origines de toutes les boxes : « La fracture intime, que chaque Nak Muay porte en lui pour parvenir à monter sur un ring, combattre et durer. »
Pour avoir été innovant, n'aura-t-il pas eu raison trop tôt ? Une Prière avant l'aube va-t-il trouver son public à sa sortie en salles ? C'est ce que nous allons voir. C'est parce qu'il nous ébranle que ce film est « À ne pas manquer ».